L'ENTRETIEN AVEC...LE DR LAURE DOMINJON PRÉSIDENTE DE REAGJIR
Dr. Laure Dominjon, médecin généraliste remplaçante, dans un centre de santé dans le Val de Marne et présidente de ReAGJIR, Regroupement Autonome des Médecins Généralistes, Jeunes Installés et Remplaçants. Ce syndicat représente les médecins généralistes, remplaçants, installés depuis moins de 5 ans et universitaires. En 2020, le syndicat a édité, avec les syndicats représentant les étudiants en médecine et les internes de médecine générale (ANEMF et ISNARIMG), un guide de bonnes pratiques pour l’accès aux soins à destination des élus. Un outil qui se veut pratique et didactique.
Comment se porte l’offre de soins en France ?
On n’a jamais été autant de médecins en exercice mais il y a une grande majorité de ces médecins qui sont en âge de partir à la retraite. De plus, il y a beaucoup plus de besoins de soins qu’avant, avec une population vieillissante, des patients avec de multiples pathologies chroniques. À cela s’ajoute la précarité sociale et/ou financière en fonction des zones d’habitation. On se retrouve en face d’un médecin qui voit ses tâches quotidiennes s’accumuler. Aussi, on entend parler de territoires sous-dotés mais aucun n'est pour autant surdoté. Le déficit démographique médical touche l’ensemble du territoire français. Au final, c’est un fait, il n’y a pas assez de médecins pour répondre à la demande de soins. Passer ce constat, il faut proposer des solutions et faire en sorte que notre système de santé fonctionne et réponde au mieux aux besoins de santé des Français. Il n’y a pas de remèdes « magiques », nous ne pouvons pas faire tomber des médecins du ciel… mais des faisceaux de solutions existent pour faciliter l’accès aux soins et l’installation des médecins dans les territoires.
Les médecins d’hier ne sont pas les médecins d’aujourd’hui. La façon de pratiquer a changé.
Les médecins en âge de partir à la retraite sont dans leurs cabinets, exerçant seuls ou à deux, joignables à toute heure. Les jeunes médecins, eux, sont à la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, de partage de charge de travail. Ils veulent travailler en équipe de façon coordonnée et pluridisciplinaire. On voit donc les « anciens » cabinets fermer mais pas forcément les nouvelles structures qui s’ouvrent ; l’installation ne se faisant pas toujours au même endroit. Au vu de la démographie médicale, des besoins de soins et des volontés actuelles des jeunes professionnels de santé, il faut sortir du discours: « il me faut absolument un médecin dans ma commune ». Ce qu’il faudrait plutôt, c’est organiser la réponse aux besoins de santé à l’échelle de bassin de population et donc de communautés de communes voire de collectivités territoriales.
Les élus agissent sur ces questions. On le voit. Pour les accompagner, vous avez édité un guide pour mieux cerner les attentes des jeunes médecins.
Les élus s’investissent sur le sujet de la santé et c’est une bonne chose mais ils n’ont pas toujours les clés, les codes. Avec ce guide, on a voulu faire de la pédagogie, expliquer ce qu’est un étudiant en médecine et un interne ; et partager leurs attentes et leurs craintes concernant leur installation future. On a réfléchi à des solutions et on a décidé de les leur proposer. On a aussi mis des exemples concrets avec des contacts afin de mettre en avant ces initiatives réussies et de faire en sorte qu’elles se dupliquent. Le but est ainsi de donner aux collectivités les moyens de mieux comprendre qui est le jeune médecin aujourd’hui mais aussi qu’elles échangent entre elles autour de leurs projets et surtout des initiatives réussies On a bien conscience qu’il y a des territoires qui souffrent plus que d’autres. Nous proposons aujourd’hui des solutions qui se doivent d’être multiples, sur le moyen et long terme, car il n’y existe pas de remède unique et immédiat.. Il faut en mettre en place plusieurs, les adapter, les tester, en fonction des contraintes et avantages de chaque territoire.
Quelles sont les principales mesures à mettre en place en tant qu’élu pour répondre aux besoins de santé de son territoire ?
La première chose serait de nommer un ou une chargé(e) de mission santé. Une personne qui deviendrait experte du « sujet », en recherchant des informations sur les professionnels de santé, leurs organisations, leurs projets personnels ; des initiatives ou projets locaux et en contactant d’autres collectivités. Il ou elle se chargera par la suite d’accompagner le jeune médecin dans son projet d’installation, professionnel (et personnel) dans le territoire. Cette personne pourra recueillir les attentes des jeunes médecins, ce qui les intéressent, leur dire à quoi pourrait ressembler leur quotidien, s’il y a un hôpital de proximité, d’autres professionnels de santé, s’ils travaillent ensemble, si le conjoint ou la conjointe pourra trouver du travail. Le jeune médecin reste avant tout un jeune actif. Il a besoin d’avoir une dynamique de terrain pour travailler et pour vivre. Cela fonctionnera mieux que de mettre à disposition un local ou une aide financière complémentaire et de passer une annonce. Ce genre d’initiative fonctionne peu ou pas…
Dans le guide, vous parlez du rôle des élus pendant la formation des médecins. En quoi est-ce important ?
L’orientation est un facteur clé de l’insertion des jeunes dans les études supérieures. Ce sont pendant nos études que le réseau se forme. La fidélisation des jeunes médecins dans des territoires sous-denses est plus facile lorsque ceux-ci en sont eux-mêmes originaires ou y ont déjà travaillés. Il faut aussi diversifier les lieux de stage, proposer aussi que les hôpitaux de proximité, de plus petite taille accueillent des étudiants pour qu’ils découvrent autre chose que le CHU. Les élus doivent aussi pouvoir se rapprocher des professionnels déjà sur le terrain, qu’ils sachent ce dont ils ont besoin, ce qui leur faudrait pour qu’ils deviennent maître de stage.
Que peuvent faire les collectivités sur ce point ?
Déjà faciliter les conditions d’accueil et d’accompagnement des étudiants avec la mise en place d’hébergement. Qu’ils soient médecins, pharmaciens, infirmiers, kinés. Ensemble, ils pourront échanger sur leurs journées, leurs vies. Leur stage en sera plus enrichissant. Et cette expérience pourrait faire naitre des projets d’installation en commun. Les collectivités peuvent aussi conditionner certains de leurs dispositifs de soutien à l’installation à un engagement du médecin de devenir à court terme maître de stage. Elles peuvent participer aux coûts associés à la formation de maître de stage, soutenir l’organisation de formations à la maîtrise de stage délocalisées sur leur territoire, dans le but de la rendre plus accessible.
Propos recueillis par Hélène Leclerc