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Le signalement au parquet : une application difficile ...

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Le signalement au parquet : une application difficile ...

​L’enquête parlementaire au sujet de l’affaire Benalla menée par le Président de la Commission des lois au Sénat - Philippe Bas, illustre les difficultés d’application dans le secteur public du dispositif de l’article 40 du code de procédure pénale. Le DGS, premier gardien de l’éthique et de la déontologie dans la collectivité, doit connaître ce dispositif d’alerte aux limites juridiques importantes.

Aux termes du second alinéa de l’article 40 du code de de procédure pénale : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. » En raison de leur rôle particulier au sein de l’État et des pouvoirs dont ils peuvent disposer au nom de l’intérêt général, un principe pénal ancien charge les agents publics d’alerter personnellement et directement l’autorité judiciaire sur les violations graves du droit (crime ou délit) dont ils sont témoins. Aujourd’hui encore, le second alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale leur fait ainsi obligation juridique de dénoncer (« donner avis sans délai ») au ministère public la commission des infractions particulièrement graves (« crime » ou « délit ») dont ils acquièrent la connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. 

UN LARGE ÉVENTAIL DE PERSONNES SOUMISES À L’OBLIGATION DE SIGNALEMENT

Le champ de l’obligation de signalement a été défini de façon large par le législateur (« toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire ») et étendu par la jurisprudence.

LE PRINCIPE : UNE DISPOSITION DE PORTÉE GÉNÉRALE QUI VISE PLUSIEURS CATÉGORIES DE PERSONNES, À SAVOIR : 

Les autorités constituées. 

Soit toute autorité, élue ou nommée, nationale ou locale, détentrice d’une parcelle de l’autorité publique : ministres, préfets et sous-préfets, maire, assemblées électives, autorités administratives indépendantes, services administratifs autonomes (services fiscaux, des douanes, d’inspection interne des ministères ; l’inspection générale des finances (IGF), l’inspection générale de la police nationale (IGPN), DGCCRF, MIEM, TRACFIN…) 

Les agents de droit public. 

Soit les agents titulaires de la fonction publique : fonctionnaires nommés dans un emploi permanent et titulaires dans un grade de la hiérarchie des administrations d’Etat ou des collectivités territoriales. Mais aussi les agents publics non titulaires ou tous les agents de droit public (contractuels de droit public).

LES EXCEPTIONS : LE SIGNALEMENT À L’AUTORITÉ JUDICIAIRE EST FACULTATIF ET DISCRÉTIONNAIRE, COMME POUR LES PARTICULIERS… 

Les agents dans une situation de pur droit privé.

Les agents des services publics industriels et commerciaux. Les collaborateurs bénévoles de l’administration et des personnels étrangers recrutés par contrat de droit local. Mais aussi les fournisseurs, les entrepreneurs de travaux et les concessionnaires de l’administration…

Les juridictions administratives considèrent qu’elles ne sont pas tenues d’appliquer les dispositions de l’article 40 du C.P.P lorsqu’elles statuent au contentieux. 

Les Cour des comptes, Chambres Régionales des Comptes et territoriales ainsi qu’individuellement aux magistrats, conseillers, maîtres en service extraordinaire et rapporteurs de ces juridictions financières ainsi qu’aux fonctionnaires qui les assistent dans leurs missions sauf les parquets de ces mêmes juridictions financières.

L’OBLIGATION DU SIGNALEMENT DE CERTAINES INFRACTIONS : LES CRIMES ET DÉLITS 

L’article 40 impose le signalement de manière impérative et avec l’absence de contrôle d’opportunité de l’agent public sur les faits constitutifs d’un crime ou d’un délit. L’agent public doit donner ce signalement « sans délai » au procureur, c’est-à-dire « sur le champ ». Le texte de l’article 40, alinéa 2 du CPP vise « tous les crimes et délits », quel que soit leur degré, qu’ils soient prévus dans le code pénal lui-même ou une législation annexe. Les infractions ne sont pas limitées à une catégorie particulière de crime (toute infraction punie d’une peine de réclusion criminelle supérieure à 10 ans) ni de délit, (peine d’emprisonnement de 10 ans maximum), mais les contraventions sont à contrario exclues du champ d’application (même celles de 5e classe). Cependant, en présence de certaines circonstances aggravantes, ces dernières constituent des délits. Par exemple : violences par une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions. 

DES FAITS CONNUS ? 

L’obligation de dénonciation n’est pas limitée aux seuls cas dans lesquels l’agent a acquis la certitude de l’exactitude des faits délictuels ou criminels. Il suffit que ces faits présentent un « degré suffisant de vraisemblance » ou encore « paraissent suffisamment établis » et « portent une atteinte suffisamment caractérisée aux dispositions dont « l’agent ou l’autorité » a pour mission d’assurer l’application ». L’article renvoie à la notion de « connaissance objective » par l’agent public de faits de nature criminelle ou délictuelle et non à « l’intime conviction » qu’une infraction criminelle ou délictuelle a été commise. En effet, la loi confère à la seule autorité judiciaire le pouvoir d’établir l’existence ou non d’une infraction. Les conditions de l’article 40 alinéa 2 du CPP ne se confondent pas avec celles qui sont exigées par le Code de Procédure Pénal pour placer une personne en garde à vue ou décider de sa mise en examen. Il ne s’agira donc pas d’attendre d’avoir réuni toutes les preuves pour agir, car seuls les moyens d’enquête à la disposition du procureur de la République pourront permettre d’apporter la preuve de l’infraction. L’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour décider ou non de l’opportunité de transmettre les faits portés à sa connaissance aux autorités judiciaires. L’agent public doit simplement transmettre directement au procureur de la République les éléments de preuve tangibles et objectifs des infractions criminelles et/ou délictuelles dont il acquiert la connaissance à l’occasion ou dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, ainsi que « tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs », mais plus largement même ceux dont il peut être amené à avoir connaissance « fortuitement », et même s’ils concernent un membre de sa hiérarchie. 

LES MODALITÉS DU SIGNALEMENT 

La dénonciation doit être opérée « sans délai au procureur », c’est-à-dire « sur le champ ». Elle n’est soumise à aucune condition de forme particulière et peut être réalisée par simple lettre ou déclaration orale. Elle peut être faite directement, car l’autorisation du supérieur hiérarchique de l’agent n’est pas nécessaire. Le chef de service est compétent pour indiquer les modalités pratiques qu’il estime les mieux adaptées, compte tenu de la nature du service en cause, à la transmission des informations. La dénonciation peut tout aussi valablement être adressée par l’entremise de l’autorité hiérarchique, l’agent ne se libérant toutefois de l’obligation personnelle de signalement en transmettant son avis à son supérieur que si ce dernier y donne la suite appropriée. La transmission « sans délai » au Parquet est d’autant plus importante qu’elle permet également de clarifier le point de départ du délai de prescription de la poursuite des infractions commises (Le point de départ de l’infraction est généralement le jour de la commission de l’infraction).

LES CONSÉQUENCES DU DÉFAUT DE SIGNALEMENT : SANCTIONS DISCIPLINAIRES ET PÉNALES 

La loi ne prévoit pas de sanction pénale en cas de non-dénonciation. Des sanctions pénales spécifiques restent possibles en cas de complicité par abstention des infractions criminelles et/ou délictuelles identifiées par celui-ci dans l’exercice de ses fonctions. Un manquement à l’obligation de dénoncer – une abstention fautive – peut justifier une sanction disciplinaire sur le fondement des textes qui lui sont applicables. Il existe également des poursuites pénales pour dénonciation calomnieuse. La cour de cassation considère qu’une dénonciation légère et téméraire ne suffit pas à constituer la « mauvaise foi » de l’acte de dénonciation. Il en est de même si la dénonciation intervient à la suite d’une erreur d’appréciation de la situation de fait par celui qui dénonce. Enfin, pour être calomnieuse, la dénonciation doit revêtir un caractère spontané et le fait qu’elle résulte d’une obligation légale, lui ôte ce caractère de spontanéité.

LES FREINS AU DÉFAUT DE SIGNALEMENT

Les freins de nature statutaire dans le secteur public. L’obligation de l’article 40, alinéa 2 du CPP s’applique à des agents publics investis d’une mission de service public et soumise, à ce titre, à l’ensemble des règles statutaires dites de la « morale administrative ». Elles recouvrent deux notions distinctes qui sont le « secret professionnel » établie dans l’intérêt des administrés et la discrétion professionnelle établie dans l’intérêt du service. Ces deux règles s’appliquent aussi aux agents non titulaires. La mise en œuvre de l’obligation de signalement peut également se heurter « au principe hiérarchique ». 

-L’articulation de la règle du secret professionnel avec celle de l’article 40 alinéa 2 du C.P.P est fixée par les textes de l’articles 26, alinéa 1er de la loi n° 83-634 du 13 juillet et des article 22613 et 226-14 du code pénal. Le fonctionnaire ne peut ainsi être sanctionné sur le fondement de la violation du secret professionnel, quand il se borne à communiquer au procureur de la république les seuls éléments nécessaires à l’établissement d’infractions de nature criminelle et/ou délictuelle, en application de l’article 40, alinéa 2 du C.P.P. ou qu’il serait appelé à témoigner devant les juridictions répressives.

- L’obligation de discrétion professionnelle est prévue par l’article 26 alinéa 2 de la loi n° 83634 du 13 juillet 1983 qui ne renvoie pas aux dispositions de l’article 40, alinéa 2 du CPP. La doctrine et la jurisprudence administrative ont précisé les conditions de son articulation avec l’article 40, alinéa 2 du CPP. Le signalement doit être adressé au seul procureur de la république et non à des particuliers. L’agent public n’a pas à rechercher des renseignements sur des évènements confidentiels qu’il ne lui appartient pas de connaître. L’agent ne peut communiquer certains faits à une autre administration lorsque celle-ci n’est pas qualifiée pour en connaître.

-Le principe hiérarchique est prévu par l’article 28 de la loi du 13 juillet 1883 portant Statut Général de la Fonction publique et a été érigé par la jurisprudence administrative en principe général du droit. En vertu d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, l’agent public qui découvre des faits de nature criminelle ou délictuelle dans l’exercice de ses fonctions n’a pas à requérir l’autorisation de son supérieur hiérarchique pour les signaler sur le fondement de l’article 40, alinéa 2 du CPP. De même, la jurisprudence administrative considère que le supérieur hiérarchique ne peut pas imposer à ses subordonnés que les avis et informations liés à l’article 40, alinéa 2 du CPP soient portés préalablement à sa connaissance. À l’inverse, la doctrine administrative considère que l’agent public à l’origine du signalement est tenu d’en informer sa hiérarchie.

Les freins de nature technique, sociologique et psychologique dans le secteur public.

-Sur le plan technique : certaines infractions notamment de corruption sont des infractions dissimulées, et donc difficiles à détecter y compris par les agents de l’administration. Les faits sont mis à jour à la suite d’une dénonciation d’une des parties prenantes aux pratiques de corruption. Les contrôles administratifs ne sont pas systématiques mais aléatoires et n’ont pas pour finalité la détection des atteintes à la probité. Il n’existe pas de corps de contrôle uniquement dédié à la traque des pratiques corruptrices mais un ensemble de contrôles internes ou externes à l’administration.

-Sur le plan sociologique : les difficultés liées à la confrontation d’une norme pénale avec des dispositions et un environnement largement dominé par le droit public. L’obligation de signalement est, parmi l’ensemble des obligations qui s’imposent aux agents publics l’une des rares à se traduire par une obligation individuelle à agir. Les obligations principales du fonctionnaire sont passives et le plus souvent soumises à la hiérarchie du fonctionnaire. -Sur le plan psychologique : le signalement nécessite de la part de l’agent public un acte positif. Il implique une démarche qui doit se traduire par un écrit ou un contact avec l’autorité judiciaire. Cet acte peut être lourd de conséquences pour l’agent, tant sur le plan judiciaire que dans son activité professionnelle.

L’introduction dans la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant statut juridique de la fonction publique d’un dispositif général de protection juridique du lanceur d’alerte éthique : « fonctionnaire et agent non titulaire de droit public qui a relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions », devrait également favoriser la transmission par l’agent public concerné de ces mêmes faits, sur le fondement de l’article 40 alinéa 2 du C.P.P. Cependant, cette protection juridique du lanceur d’alerte secteur public ne garantit pas l’externalisation sur le fondement de l’article 40 alinéa 2 du C.P.P. 

UNE RÉFORME DE L’ARTICLE 40, ALINÉA 2 DU CPP INCONTOURNABLE 

Cette disposition telle qu’elle rédigée et appliquée ne correspond plus aux besoins de la société française d’aujourd’hui et aux engagements internationaux de la France en matière de lutte contre la corruption. Elle doit être remise à plat pour construire un dispositif de signalement des infractions au Parquet cohérent, efficace et protecteur des droits des citoyens français. Les pouvoirs publics ne pourront plus faire indéfiniment l’économie d’un débat public et citoyen. Ils ont le devoir de l’introduire dans le cadre du prochain examen par le Parlement du projet de loi de transformation de la fonction publique. Dans son rapport de « Phase 3 », le groupe de travail de l’OCDE sur la corruption, recommande à la France de « prendre les mesures appropriées » pour favoriser les signalements au titre de l’article 40, alinéa 2 du CPP. Les modalités d’application de l’article 40 alinéa 2 du CPP devraient être clarifiées et détaillées dans des textes d’application de nature réglementaire (décrets) ou infraréglementaires (circulaires). La nature juridique de signalement devrait également être précisée. L’instauration de « protocoles de signalement » des infractions de corruption entre les secteurs de l’administration concernés et les autorités judiciaires est également indispensable pour assurer la transmission au Parquet de faits de nature délictuelle ou criminelle détectés au sein des administrations et établissements publics concernés. Assortir le dispositif de l’article 40 alinéa 2 du CPP d’une sanction pénale suffisamment « efficace, proportionnée et dissuasive » aurait le mérite de lever définitivement toute ambiguïté sur le caractère obligatoire de cette disposition. Elle dissuaderait également l’agent public français d’exercer un quelconque contrôle d’opportunité sur la transmission au procureur de la République de faits constitutifs d’un crime ou d’un délit relevés dans l’exercice de ses fonctions. Elle protégerait enfin contre toute mesure de rétorsion de la part de sa hiérarchie.

Jérôme Deschênes

Conseiller Technique Ethique & Déontologie au S.N.D.G.C.T 

D.G.S de la Commune Nouvelle

Villedieu-les-Poêles - Rouffigny

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