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Un DGS au pays des marchés publics

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Un DGS au pays des marchés publics

Les marchés publics sont un domaine encore assez neuf et un levier de développement des territoires, à condition de les voir pour ce qu’ils sont. Voilà la vraie difficulté.

J’ai commencé mon parcours dans la fonction publique d’Etat avec des missions d’expertise dans les marchés et le fait est qu’après dix ans à fouiller cette matière, j’avais la conviction d’en maîtriser les arcanes. Je connaissais le Code et ses différentes versions sur le bout des doigts, j’avais rédigé certaines circulaires, exercé pratiquement tous les rôles possibles et même fait du contentieux. Bref, je pensais en avoir fait le tour de la question alors qu’une drôle d’aventure m’attendait.

Décidé à quitter la fonction publique d’Etat pour continuer mon parcours dans des fonctions de DGS, j’ai en effet vécu mon arrivée dans la fonction publique territoriale un peu comme l’Alice de Lewis Carroll qui descend dans le terrier. En quittant les hautes sphères parisiennes et leurs antennes locales, j’ai aussi pris contact avec le monde tel qu’il est. Très vite, j’ai eu le sentiment de me trouver face à un miroir, qui cachait la réalité du monde économique en me renvoyant ma propre vision de l’économie. Le cycle financier auquel j’étais si attaché, de la conception budgétaire à la liquidation de la dépense, en passant évidemment par les marchés, se révélait être le simple reflet de ma propre perception des enjeux financiers. Elle était en réalité coupée de la globalité de ces finances, beaucoup plus vastes et interconnectées.

« L’ÉCOSYSTÈME DE LA COMMANDE PUBLIQUE »

Par chance, j’ai rapidement croisé des personnes qui m’ont aidé à traverser ce miroir.

Une poignée d’aventurières bretonnes avaient créé une association à l’échelle régionale (Breizh SBA) et s’étaient lancées dans un sacerdoce original : rendre accessible la commande publique aux petites et moyennes entreprises bretonnes, en permettant la rencontre des univers public et privé. Sitôt énoncé cet objectif, le tain du miroir s’estompe et vous entrez dans un monde peuplé d’une multitude d’acteurs qui jouent chacun un rôle particulier, parfois surprenant dans les marchés publics. Ce que l’on appelle dans cette association « l’écosystème de la commande publique ».

Ces acteurs, quels sont-ils ? Mon habitude était de désigner à peu près tout le monde sous le terme de fournisseur. La nature des marchés permettait de distinguer les assistants à maîtrise d’ouvrage des autres prestataires et certains montages juridiques aidaient à apporter du dynamisme dans certains cas, avec la notion de performance ou de partenariat. Cela me semblait être moderne mais j’éprouvais confusément le sentiment de rater quelque chose d’essentiel. Arrivé au Pays des marchés publics, j’ai rencontré cette multitude et j’ai été forcé de m’apercevoir qu’ils n’avaient rien à voir les uns avec les autres. Auto-entrepreneurs, TPE, PME, grands groupes, libéraux, associations, ESS, professions réglementées… leurs différences sautent aux yeux lorsqu’on s’y attarde. Il y a aussi le type de prestation, qui fait toute la différence et la structuration de la profession peut jouer un grand rôle dans la construction des offres. Enfin, il y a l’ancrage local, notion qui entre-temps est devenue à la mode. 

« COMME UNE MONTAGNE »

Cet écosystème est si mal connu de ceux qui restent de leur côté du miroir. Pour eux (moi il n’y a pas si longtemps), le monde économique est finalement assez simple : chaque acteur économique doit trouver sa place en fonction des exigences de celui qui émet l’appel d’offres. J’ai pris l’habitude d’illustrer cette rupture entre acheteur public et opérateur économique par une montagne. Un marché public peut être vu comme un sommet avec l’acheteur d’un côté et ceux qui veulent répondre à l’appel d’offres de l’autre. Tout contact entre les versants est interdit, sous peine de risquer l’accusation de favoritisme, notamment. L’acheteur définit les règles d’ascension, donne à tous les candidats la même carte pour l’itinéraire et c’est parti.Le meilleur grimpeur fera la meilleure offre et voilà le marché notifié. 

Comme dans cette métaphore, les problèmes de cette méthode sont multiples. Il peut ne pas y avoir de grimpeurs capables d’atteindre ledit sommet. Celui qui arrive le premier en haut n’est pas forcément le meilleur et n’est même pas toujours capable de faire la prestation. Enfin, le besoin lui-même est coupé (à des degrés divers) de la réalité du monde économique (symbolisé par le camp de base de l’autre versant). Enfin, rien ne garantit bien souvent la pertinence du cahier des charges, faute d’un vrai « sourcing », concept heureusement devenu il y a peu un des éléments fondamentaux de nos marchés publics.

« DE BELLES INITIATIVES SONT PRISES »

Cependant, ce terme de « sourcing » sonne un peu creux face aux dizaines d’années de pression juridique contraire qui conditionnent encore nos acheteurs, la plupart juristes plutôt qu’acheteurs. Je constate le plus souvent au mieux une veille, rarement un vrai sourcing.

La plupart du temps, chacun crée son propre réseau informel d’acheteurs publics qui restent bien à l’abri de leur côté du miroir. « Peux tu me donner ton cahier des charges sur ta piscine ? » Et ainsi de suite. Les élus pilotent des dossiers et les techniciens en support font aussi le job de leur côté mais la traduction de leurs attentes ou exigences est souvent périlleuse voire considérée comme impossible. Il y a un cloisonnement entre chaque acteur qui se renforce à mesure que les tailles de structure augmentent. Des contre-mesures existent et de belles initiatives sont prises, sous la pression notamment de l’exigence de réalisation d’un schéma des achats pour les grandes collectivités.

Citons notamment la consultation ouverte de la Région Bretagne en 2017 ou encore la constitution d’équipes transversales et pluridisciplinaires d’assistance sur les marchés publics comme dans le département du Loiret. Mais nous sommes encore aux prémices d’un mouvement qui doit prendre une toute autre envergure.

« L’ACHETEUR PUBLIC FAIT PEUR »

Passé de l’autre côté du miroir, j’ai pu m’apercevoir que le système manque aussi d’efficacité dans le monde économique. L’acheteur public fait peur, il paye mais souvent tard, l’absence de dialogue en amont génère des complications sans fin dans les gros dossiers, et donc on ne fait régulièrement des marchés publics que dans deux situations : soit l’opérateur dépend de la dépense publique et il apprend à se rendre réciproquement indispensable, soit l’opérateur a compris comment répondre aux exigences des acheteurs publics et il peut développer son offre en s’adaptant aux contraintes spécifiques générées. Dans aucune des deux situations, l’acheteur public et l’opérateur économique ne sont réellement en capacité de progresser ensemble. Dans les autres cas, après un ou deux échecs, les opérateurs préfèrent souvent renoncer et cela renforce l’attrition des offres, qui sont littéralement insuffisantes en période de reprise économique.

C’est le constat un peu amer que j’ai fait au Pays des marchés publics et cela motive mon action au sein de l’association Breizh SBA. Cette association a comme principe la mixité de ses composantes entre public et privé, avec l’objectif de permettre la rencontre de tout l’écosystème dans la perspective de l’amélioration de son fonctionnement.

D’autres ont désormais fait la même analyse et le dynamisme des Réunionnais est remarquable de ce point de vue. J’ai beaucoup appris lorsque la communauté de Saint Denis de la Réunion m’a invité à constater la force de leur engagement et ses effets. Leur « stratégie du bon achat », traduction intelligente du SBA américain, porte déjà des fruits. J’invite ceux qui le veulent à parcourir les sites de nos associations Breizh SBA et SBA 974.

« DÉVELOPPER LA STRATÉGIE DU BON ACHAT »

A chaque retour dans ma collectivité et au sein de la communauté des DGS, je mesure régulièrement la difficulté de ce voyage au Pays des marchés publics pour les professionnels.

Les remarques sont nombreuses des collègues sur les risques éthiques et juridiques d’une rencontre réelle avec les opérateurs économiques et pourtant, pouvons-nous rester face à notre propre image des marchés publics ? Comment améliorer la qualité des offres sans aller à la rencontre de ceux qui les font ? Comment agir d’une façon globale sans mettre en mouvement de façon éclairée tous les intermédiaires de cet écosystème ?

Je pense aux fédérations professionnelles, aux ordres des architectes, des avocats, aux chambres consulaires, au monde enseignant, bref, à tous ceux qui peuvent porter une vision différente de celle du passé auprès d’un maximum d’acteurs de la communauté de la commande publique. Je pense aussi à ceux qui croient ne pas faire d’achat public et en sont en réalité la clé de voûte, à commencer par les dirigeants territoriaux.

C’est cette rencontre extraordinaire que j’invite tout DGS à faire, avec ou sans médiateur, afin de réaliser le potentiel qui reste à portée de sa collectivité pour développer la stratégie du bon achat sur son territoire.

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